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Amour, Identité et Changement

L’AMOUR EST LA SEULE RAISON DE VIVRE ET ANIME LES ESPOIRS SECRETS – AVOUES OU NON

Pathologies addictives ou « je ne suis pas dépendant »

L’amour est une intoxication ! Tel est le message dans les pathologies addictives. L’addiction est le concept même de la relation amoureuse où une personne, qui était autonome et qui allait bien jusque-là, se rend complètement dépendante de l’autre en accusant le sentiment qu’elle éprouve pour celui-ci. Autrement dit, le sentiment de l’un pour l’autre rendrait aussitôt dépendant de celui-ci ! C’est aberrant, mais c’est une vérité psychique : le sentiment adhère à son objet d’amour et appauvrit le moi. Les pathologies de l’agir ne s’y trompent justement pas : elles décèlent ce danger aussitôt et fuient cette dépendance par l’agir.

Les pathologies addictives, au contraire, sont des adeptes de l’amour. S’adonner à l’amour, cela va de soi – c’est existentiel ! Si l’on regarde d’un peu plus près les circonstances dans lesquelles intervient l’état amoureux, on peut s’apercevoir que la personne était peut-être moins autonome auparavant qu’on pouvait le croire. Elle échange une dépendance contre une autre. Il existe moins de changement psychique recherche personnelle d’un état de dépendance ne peut intervenir que dans un mouvement dépressif.

L’expression du conflit et de la revendication passe par le corps et prend autant d’importance que dans les pathologies précédentes. L’addiction correspond à un « comportement d’ingurgitation ». Bien que l’agir intervienne aussi ici, mais sous un mode passif. C’est une pathologie de la consommation : de substances, de relations humaines et de stéréotypes.

L’addiction signifie qu’il existe une dépendance à une substance ou à un certain vécu qui fonctionne comme une substance. La personne ne peut pas s’en passer. Elle est donc accoutumée. Outre la toxicomanie, l’alcoolisme, la boulimie ou le contraire, l’anorexie, la dépendance relationnelle (ne pas pouvoir être seul) ou le besoin de se sentir exister à travers des sensations fortes, il peut s’agir de tout un complexe conflictuel dans lequel les différentes dépendances s’enchevêtrent. Par exemple, dans la prostitution, le problème peut s’étendre à la prise de drogue ou d’alcool, et à la dépendance de la relation du souteneur, etc. dans ce cas, il est impossible d’isoler chaque dépendance. L’addiction est le mode qui règle les différentes articulations du conflit.

Le caractère oral de l’ingurgitation ne peut échapper ce qui oriente la clinique à supposer un traumatisme dans la relation mère/enfant. L’unité avec la mère, notamment dans la situation d’alimentation, et la reconnaissance à travers son regard, ont dû être troublées. Olievenstein, dans ses recherches sur l’enfance du toxicomane, parle d’un « stade du miroir brisé ». L’enfant ne recueille de lui-même qu’une image incomplète, fragmentée en de multiples facettes dans lesquelles il ne pourra se reconnaître ni trouver son unité. Par exemple, quand l’enfant n’est pas du sexe que les parents auraient souhaité, ils rejettent l’identité sexuelle de l’enfant. Ou encore un enfant naît comme enfant de remplacement pour un enfant qui est mort ou pour un membre de famille décédé (souvent exprimé par le choix du prénom). L’ambivalence des sentiments et la culpabilité éprouvée par les parents reviennent dans leur attitude envers le nouveau-né. Renvoyé à des messages ambigus, le jeune enfant sera entravé dans son identification et la constitution de son moi. Dans son rapport avec ses parents, des choses lui échappent. Laissé sans explication, il va croire qu’il n’est pas entièrement bon, qu’il a des défauts. L’omission de ses parents est ressentie comme une punition : il n’est pas digne de confiance. Au lieu de partager leurs secrets avec lui, ils l’en excluent. L’enfant ne peut pas comprendre le fonctionnement de l’adulte. Ce dernier croit qu’en refoulant des événements douloureux, il les fera disparaître et que sa descendance en sera épargnée. Mais l’enfant ne peut pas comprendre les expressions des mécanismes de défense.

L’enfant comprend d’autant moins que l’adulte se trahit par des messages inconscients (par les rites familiaux, les usages, le non-dit qui ponctue la parole, etc.) il en déduit que ses parents ne sont pas tout à lui, qu’ils sont régis par des forces obscures. Ces choses bizarres excitent son incompréhension, il ressent des lacunes. Quelque chose lui manque et il cherche où est la substitution. Celle-ci est dans un rapport symbolique avec le message non délivré et non décrypté de ses parents. La culpabilité éprouvée du fait qu’on ne lui dise rien, peut se traduire par des formes variables du masochisme. L’addiction en est la preuve, puisqu’elle a un effet nocif sur la santé, et la détériore d’une manière ou d’une autre sur le plan physique.

L’addiction porte le stigmate de la dette. L’enfant sent confusément une signification obscure à son existence. On attend de lui qu’il joue un rôle dans la filiation sans que lui soit précisé lequel. Une place lui est assignée, alors il s’identifie à une mission qu’il ignore. Il en traduira l’obligation par son corps. C’est pour cette raison qu’on caractérise l’addiction aussi par « l’ordalie ». Rentrer dans les rangs, dans l’ordre, une épreuve qui passe par le corps lui est confusément infligée à travers les fantasmes circulant dans la famille. Le non-dit et l’omission occupent l’intelligence de l’enfant. Afin d’acquérir pleinement son identité, il se sent appelé à donner son corps en gage à cette mission familiale. A défaut de pouvoir mettre en mot, il comble son identité en restaurant son corps. Sa dépendance traduit celle de son devoir familial.

« Ancêtre » se dit en allemand « Ahnen », qui veut dire en même temps le verbe « Deviner, supposer ». Ici la langue suggère d’emblée de ne pas prendre au mot ce qui est transmis, et de ne pas s’attendre non plus à une transparence totale. L’ancêtre devient devin parce que la descendance lui confère sa magie. Si on veut obtenir une information ressemblant à quelque chose comme la vérité, l’intuition guidera ce rapport aux anciens.

Le conflit psychique causé par le non-dit ne se manifeste pas sans ressentiments vis-à-vis de l’autre, qui le laisse dans un tel désarroi affectif. La revendication amoureuse de la pathologie addictive réclame d’être comblée, et que l’autre répare toutes les privations endurées jusque-là. La personne addictive se vit comme celle qui n’a pas été aimée pour elle-même. Il lui faut constamment des preuves d’amour, car elle a tout un passé de frustrations à combler ! Ces revendications retournent la dépendance propre vers l’autre en le confrontant à ses propres angoisses de dévoration, d’agression et de castration. De peur de se voir anéantir, la personne addictive menace l’autre de destruction. Ne pouvant pas toujours donner ou ne pas s’abandonner, le partenaire est forcément inscrit dans l’image du parent frustrant. A lui de recevoir toute la haine qui remonte de loin et les tentatives de prises de position violentes. Le partenaire qui épaule la personne addictive, vit une véritable hémorragie du moi. La personne la plus généreuse et la plus compréhensive finira par sombrer dans un tel état dépressif, qu’elle en viendra à réfléchir et à prendre quelques bonnes résolutions pour se reprendre en main.

La revendication amoureuse de l’addiction se formule selon « la loi du talion » : œil pour œil, dent pour dent… Même si les partenaires se connaissant depuis peu, les réactions peuvent être violentes. Car elles viennent de loin. La personne addictive sait à quel point l’autre peut être tout puissant et le priver de bien-être, au point qu’elle est constamment sur ses gardes. Elle soupçonne vite qu’on la lèse ou qu’elle est victime d’une injustice, et des peurs de dépossession ou d’envahissement d’ordre claustrophobique peuvent se faire jour. Elle se défend par la froideur émotionnelle et sexuelle, et ses craintes d’être persécutée par la malveillance peuvent ressembler à une attitude paranoïaque.

L’autre est fantasmé comme « objet total ». Soit la relation se vit sur une voie unique, par on ne sait quels efforts pour maintenir l’idéalisation artificielle : l’un est fort et l’autre dépendant. Mais comme ça ne peut pas tenir longtemps, la moindre faiblesse est tenue pour une trahison. Ainsi se déclenche facilement la bagarre amoureuse, pouvant aller jusqu’à la violence conjugale. La relation bascule, mais ne peut pas se vivre sur un mode égalitaire. Le mode addictif exige de l’autre de s’adonner également o l’ordalie. Soit le partenaire entre dans la dépendance aux toxiques, car il s’est tellement soumis à subir le comportement destructif de la personne addictive qu’il porte à son tour les stigmates de la frustration. Il faut donc une certaine propension à s’engager dans le sadomasochisme. Si le partenaire a fait preuve de suffisamment de capacité masochiste, la personne addictive pourra s’identifier à elle et l’accepter.

C’est souvent la réalité de la vie qui ajuste la relation ou qui y met une fin. L’addiction demande de grands moyens pour réparer les dégâts antérieurs, et les efforts ne peuvent plus suffire pour continuer ce mode de vie. Il y a des limites où l’on ne peut plus faire face aux dettes, à la passivité et à la destruction. C’est pour ainsi dire la vie, à travers ses exigences, économiques et sociales, qui séparera les partenaires destructeurs. L’escalade des épreuves « d’amour » se termine parfois de façon dramatique.

Mareike WOLF-FEDIDA, psychanalyste

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